« Qu’est-ce que ça dit sur moi? »

 

Montréal, le 23 avril 2012.

Voilà une question accaparante, qui même si elle passe par notre processus langagier cortical, sait très bien se frayer un chemin dans nos zones sous-corticales responsables d’un traitement plus primaire de l’information. En termes simples, cette question peut facilement nous faire trembler de peur ou rougir de honte, ou plus agréablement provoquer une sensation d’expansion euphorisante – chacun de ces états subjectifs étant accompagnés dans leur danse de décharges spécifiques de neurotransmetteurs. Entre ces deux pôles, la personne pourra tout simplement ressentir un bien-être ancré dans un sentiment de légitimité personnelle.

« Qu’est-ce que ça dit sur moi? » pointe dans la direction de la représentation de soi, ou de l’histoire racontée sur soi. Quand cette histoire n’est pas belle, elle provoque énormément de souffrance : « je ne suis pas une personne qui mérite d’être aimée; mon imposture sera éventuellement divulguée au grand jour; il y a quelque chose d’incorrect chez moi, quelque chose qui cloche… » Dans l’approche des schémas, ces énoncés seraient regroupés sous le vocable schéma Imperfection.

Comment en arrive-t-on à une telle façon de se ressentir, de se percevoir, de se décrire? Et, plus étonnant encore, comment cela peut-il avoir été appris dans des milieux familiaux en apparence fonctionnels, dans de « bonnes familles »? Plus facile à imaginer lorsque notre client décrit un milieu familial dysfonctionnel dans lequel on aura été jusqu’à battre un petit garçon, à abuser sexuellement d’une petite fille – il apparaît plus évident de déduire que cela aura conduit à une représentation peu flatteuse de soi. Mais comment comprendre que le schéma Imperfection ne se limite pas à des personnes issues de tels milieux dysfonctionnels?

Dans l’approche des schémas, Young a situé le schéma Imperfection dans le premier domaine qu’il a nommé « Séparation et rejet ». On y retrouve aussi les schémas Abandon, Méfiance/Abus, Exclusion et Carence affective. Or, tous ces schémas ont un rapport important avec la connexion : soit qu’elle soit menacée (Abandon et Exclusion), soit qu’on ne s’y retrouve pas en sécurité (Méfiance/Abus), soit qu’elle soit de pauvre qualité (Carence affective). Toutes ces failles dans la connexion auront leurs impacts nocifs et/ou traumatiques qui seront récupérés dans une trame narrative tenant rarement compte de la complexité de la situation de son ébauche (par exemple des carences ou des limites des parents), l’enfant étant alors au stade piagétien de la pensée égocentrique et nécessitant un support externe bienveillant pour mieux contextualiser son histoire. Or, il semble que souvent ce support externe présente plusieurs angles morts dans son miroir, ce qui fait que l’enfant serait régulièrement laissé à lui-même pour tenter de créer de la cohérence là où on ne lui en offre pas – facile de comprendre, dans ce contexte, qu’il en arrive si souvent à conclure que quelque chose ne va pas chez lui.

Même si dans « la normalité », plusieurs de ces enjeux n’empêchent pas un fonctionnement globalement adapté puisque l’évolution a déjà prévu plusieurs stratégies pour s’en sortir malgré une mauvaise image de soi (par exemple conciliation, évitement, contre-attaque), le malaise a toujours sa place au sous-sol. Chez certains individus, il est possible de faire sa vie avec ce malaise, chez d’autres le mal de vivre devient trop aigu (c’est ici que le milieu dysfonctionnel a laissé plus de traces perturbatrices). Mais dans les deux cas, une personne pourrait décider de mieux intégrer l’ombre se promenant au sous-sol (dans ce cas-ci le schéma Imperfection). C’est à ce moment qu’elle choisira peut-être de consulter un psychothérapeute.

 

Pierre Cousineau pratique la psychothérapie depuis plus de 35 ans. Il a travaillé dans le réseau public de santé avant de consacrer ses activités à la pratique clinique en bureau privé.  Il est aussi formateur et superviseur en psychothérapie.  Il a supervisé la traduction française et a fait l’adaptation du Livre Je réinvente ma vie, de J.E. Young.